Pour un nouvel humanisme
Il ne se passe pas une journée sans qu'on nous assène l'injonction de cultiver nos différences, notre "style", notre identité...
Faire société passe de plus en plus par une déclaration d'appartenance à un groupe de plus en plus restreint.
À tel point qu'on en perdrait de vue le fait majeur, celui qui nous rassemble tous : nous sommes avant tout humains.
Est-ce forcer le trait ?
La notion d'identité a pris ces cinquante dernières années une place prépondérante dans la conscience sociale. Par l'intermédiaire de la psychologie (s'affirmer, se démarquer, être le meilleur), des sciences de l'éducation (laisser l'enfant s'exprimer librement, essort de la ludo-pédagogie, développement d'une éducation basée sur la compétition), de la société de consommation (donner la possibilité de personnaliser les objets de consommation courante, de créer son propre "style", développement du confort individuel)... Mais cette notion qui semble si prépondérante est davantage prise dans son acception individualiste. Pourtant, d'un point de vue purement linguistique, l'identité est basée sur le fait d'être "le même" (idem, en latin), c'est à dire son appartenance au groupe, justement. Le domaine professionnel reflète cette orientation (baisse générale de la syndicalisation et faible mobilisation des salariés lors des grèves nationales, à mettre en regard de l'augmentation des burn-outs et du mal-être au travail ; différences de salaires entre blancs et non-blancs, entre hommes et femmes...), le domaine socio-politique reflète aussi cette tendance (lutte contre l'immigration, batailles sociales autour de la notion de famille, Féminisme, homophobie...), évidemment, le domaine commercial la cultive ("Votre séjour/voiture/ordinateur/maison sur mesure")
Essort des communautarismes
Chacun se retrouve piégé entre deux injonctions opposées : être le plus unique possible et faire société. La seule méthode permettant de concilier ces tensions est de morceler l'unité initiale :
"je suis humain
je suis un humain masculin
je suis un humain masculin blanc
je suis un humain masculin blanc vivant en France
je suis un humain masculin blanc vivant en France et d'origine française
je suis un humain masculin blanc vivant en France et d'origine française hétérosexuel
je suis un humain masculin blanc vivant en France et d'origine française hétérosexuel marié
je suis un humain masculin blanc vivant en France et d'origine française hétérosexuel marié sans enfant
je suis un humain masculin blanc vivant en France et d'origine française hétérosexuel marié sans enfant vivant en couple
je suis un humain masculin blanc vivant en France et d'origine française hétérosexuel marié sans enfant vivant en couple en zone rurale
...
Je suis Moi, somme de toutes les lignes précédentes."
Sur chacune de ces lignes précédant l'affirmation du Moi, je fais communauté avec ceux qui partagent ces caractéristiques. Plus le groupe dans lequel j'évolue s'élargit et plus la tendance à fragmenter ce groupe en unités plus petites - et donc plus facilement appréhendables dans leurs fonctionnements - augmente mais plus l'influence de chaque groupuscule diminue par rapport au groupe initial. C'est une loi fondamentale en thermodynamique et connue depuis longtemps, appelée "entropie" : tendance naturelle à l'éloignement, au désordre, à l'inertie et au refroidissement. Or "faire société", c'est se battre contre cette entropie naturelle (vivre est d'ailleurs déjà se battre contre elle). S'il n'y avait que des Moi, préoccupés que de leurs intérêts immédiats personnels, l'humanité n'aurait sans doute jamais vu le jour : nous sommes des animaux sociaux (nous formons naturellement communauté, la plus pette étant la cellule familiale : n'oublions pas que nous sommes, parmi les animaux qui restent avec leurs petits pour les éduquer, ceux qui le font le plus longtemps) et nous avons développé au fil de notre expansion planétaire des outils de communication (le langage, l'écriture, l'imprimerie, le téléphone, et l'internet) qui nous permettent de tisser un réseau de liens interindividuels et, par extension, intercommunautaires qui assurent une cohérence à notre cohabitation.
Réaffirmer l'universalisme des droits fondamentaux et réimposer le bon sens ?
Nous nous battons de plus en plus, ces dernières années, pour des droits individuels là où il y aurait matière, me semble-t-il, à invoquer le droit universel. Non, je n'ai pas droit au travail, au libre déplacement dans l'espace public ou à la considération de mes concitoyens parce que je suis handicapé et qu'il me manque donc quelque chose (discrimination "positive", niant par essence l'appartenance au groupe général) : j'y ai droit par mon seul statut d'individu (appartenance naturelle au groupe général, argument du caractère universel des droits fondamentaux) ! Je n'ai pas droit au même salaire que mon homologue masculin parce que je suis une femme (et que les femmes ont toujours été discriminées et que c'est donc justice qu'elles ne le soient plus) : j'y ai droit parce que je fournis le même travail que lui, avec les mêmes compétences et des résultats similaires (mesure de bon sens).
Si nous avons tellement de mal à réaffirmer ces droits quand ils font défaut, est-ce que ce n'est pas toujours dans des circonstances où l'argumentation repose sur ce qui nous oppose, lors-même qu'il suffirait d'un peu de bon sens pour remettre les droits fondamentaux au coeur de la discussion ?