Les Reflets ont démarré en 2003 à cette adresse comme un espace d'expression à tendance littéraire...
En 2020, pour des raisons essentiellement techniques, la partie blog intitulée "Au jour le jour" a été migrée sur ce serveur et son interface refaite.
Nous vous souhaitons bonne visite...
Photo de MItodru Ghosh sur Unsplash.
Photo de Jezael Melgoza sur Unsplash
Ma boussole pour évaluer les technologies qui font leur apparition dans les usages grand-public est toujours la même : "Qu'est-ce qu'elles m'apportent ? Quelles sont les contreparties ? Sont-elles (les technologies) durables ?"
Le marketing se fait toujours avec les mêmes arguments : Efficacité (plus vite, plus loin, plus fort), confort (moins de difficulté, de douleur), sécurité (moins dangereux). Jusqu'à une époque pas si éloignée, elles nous proposaient de nous aider à faire (plus vite, avec moins d'effort et moins de dangerosité) les tâches quotidiennes, qu'elles soient de la sphère privée ou de la sphère professionnelle.
L'efficacité nous promettait de faire plus pour moins d'effort : on a juste fait autant qu'on pouvait (plus effectivement) avec la même quantité d'efforts que précédemment.
Le confort nous promettait une vie moins difficile : nous ne supportons plus aucune difficulté, aucune frustration, tout en étant de plus en plus stressés par notre environnement quotidien.
La sécurité nous promettait moins de danger : là encore, elle nous a juste déshabitués à l'idée du risque inhérent à toute activité (et qu'aucune mesure ne supprimera).
Depuis plusieurs années, autour de 2020 je pense, on nous propose de faire à notre place : voiture autonome, systèmes informatiques opaques ("cloud", IA partout, IA pour n'importe quoi), sélection algoritmique. On pouvait certes s'y attendre mais faut-il s'y résigner ?
Ce fonctionnement questionne à plusieurs niveaux : en tant qu'individu, ai-je vraiment envie d'être dépossédé de ma faculté de faire des choix ; ensuite, éthiquement, que fais-je de mon libre arbitre si toutes les décisions sont prises pour moi par une entité exogène ? Enfin, psychologiquement, suis-je prêt à vivre dans un monde où il me faudra me demander sans arrêt si telle œuvre est celle d'un humain sensible ou d'une machine qui singe l'artiste, si telle réalisation est l'accomplissement d'un homme par le travail (intellectuel et physique) qu'il a fourni ou bien l'exécution d'une série d'instructions plus ou moins automatisées par un robot (dévaluation du travail et donc du résultat) ?
Je pense que s'il y a tant de personnes tentées par ces aventures, c'est parce qu'en réalité les technologies en question reposent sur le pari d'une addiction (c'est sans doute pour ça que les premières doses de ces extraordinaires gabegies de matériaux et d'énergie sont souvent gratuites). Ne pas faire de choix, c'est ne pas avoir à assumer leurs conséquences ("c'est pas moi, c'est ChatGPT !"). Et c'est bien là la partie addictive de la chose : l'inconfort de la responsabilité dilué par l'externalisation de sa cause.
En résultat immédiat, il y a au minimum infantilisation de l'individu. Mais au pire, il y a un anéantissement du sujet agissant : incapable de prendre une décision, d'opérer un choix, de fonder une opinion. Réduit qu'il en serait à demander à l'outil de le décharger d'une pression mentale qu'il ne supporterait plus, de le décharger de la corvée de penser.
Le jeu en vaut-il la chandelle ?
Photo : Guillaume Payeur - Sept. 2025
Qu'est-ce qu'on peut bien faire de toutes ces images, quand on rentre ? Des souvenirs, des sensations, de la fatigue du quotidien ?
De leur évanouissement progressif. De l’affadissement inéluctable qu'on sait devoir advenir.
Reprendre la route...
Non, non. Pas d'avis de décès... Mais c'est encore pire, je trouve.
Il y a une dizaine d'année, c'est devenu évident : Alzheimer s'invitait dans la famille. J'avais toujours vu ma mère comme un monolithe (c'est courant, le monolithe maternel, comme image) de dépression chronique non-diagnostiquée. Une oscillation entre colère et chagrin, comme un pendule négatif qui nous balançait, nous aussi, au gré de ses imprécations et de ses désolations.
Et puis il y a eu la polyarthrite rhumatoïde, la SEP. La douleur et les déformations articulaires, les traitements à la cortizone, les nuits sans dormir. Et toujours cette négativité face au monde.
Et puis Alzheimer est arrivé. Des oublis bénins mais de plus en plus fréquents. Et ensuite ce discours : "Tu sais, je perds la mémoire... Ah là-là, qu'est ce que c'est pénible de ne pas se souvenir !" réitéré tous les quarts d'heure. Mais curieusement, le reste s'est estompé.
Tout le reste. Le monde hostile, l'impossibilité d'en faire ce qu'on voudrait. La douleur articulaire, les crises nocturnes. Le COVID19 a sonné la fins des traitements semestriels contre la polyarthrite et on s'est rendu compte qu'ils n'étaient plus nécessaires.
Ma mère était devenue calme, détendue. Elle riait volontiers, alors. Elle était aimable.
Mais ensuite, les mots ont commencé à venir difficilement. Elle ne répondait plus au téléphone, ou alors, il fallait très vite passer le combiné. Elle demandait qui était au téléphone plusieurs fois au milieu de la conversation.
Et puis s'en est allée la capacité à faire les gestes quotidiens : tenir une fourchette, ouvrir une bouteille, savoir quoi faire avec une savonnette... Et ce regard vide, inquiet, hagard...
Depuis quelques semaines, elle a peur en permanence, croit voir des choses dans les coins de la maison. Elle ne bouge presque plus de sa chaise. Elle pense qu'on lui veut du mal, elle veut s'enfuir...
Bref, ma mère n'est plus là. Et il va falloir qu'elle soit prise en charge par des spécialistes parce que pour mon père, à la maison, c'est devenu une sorte d'enfer permanent.
Ce qui est horrible, c'est que maman n'est plus là mais qu'elle est encore là.
Est-ce que c'est entendable, de le dire comme ça ?
Visite au supermarché local, ce samedi. Devant le rayon café, en lieu et place du café moulu sous vide (nous n'avons toujours pas cédé à l'appel du café en dosettes) une affichette :
"Chers clients, En raison d'une mauvaise récolte 2024, d'une forte demande mondiale et de la spéculation sur les prix, nous subissons des ruptures sur certains cafés."
La place réservée pour le café moulu sous vide (réduite depuis quelques années à environ un cinquième du linéaire) était effectivement remarquablement désertée. Ce qui était très agaçant, c'est que les quatre cinquièmes restant (dévolus aux dosettes) ne souffraient d'aucune rupture...
Le capitalisme opère des choix, puis les impose : la dosette est plus lucrative.
Je rencontre au fil de mes pérégrinations sur le net l'évocation d'une tentation de disparaître de l'espace numérique qui m'effleure régulièrement. Mais je me suis toujours dit jusque là que si la dissidence - et par dissidence, j'entends le non-recours aux outils marchands mis à disposition par les marchands pour emprisonner leurs usagers en vue de générer toujours plus de profits - ne s'exprime plus ils auront gagné deux fois. Cet espace, c'est d'abord le nôtre.
Le retour au pouvoir de Donald Trump, l'élection de Xavier Milei, Giorgia Meloni, Viktor Orbán, préfigurés par des Poutine ou Erdogan ; la montée en puissance d'acteurs issus du privé comme Elon Musk ou Vincent Bolloré qui commence à avoir des répercussions sur la stabilité d'éléments primordiaux comme l'information ou la cohésion sociale...
Nous sommes en train d'assister à une consolidation du bloc fascisant. Tout ce petit monde parle ouvertement désormais, au reste du monde mais aussi, bien sûr, entre soi, avec l'objectif de faire des émules et de décomplexer ceux qui hésiteraient encore.
En laissant la parole à l’extrême droite sous prétexte de liberté de parole, nous avons laissé leur discours colorer notre quotidien, insidieusement. Nous avons fait monter petit à petit notre niveau de tolérance. Comme une goutte d'encre dans un verre d'eau, une toute petite goutte, presque rien.
Qui boira le verre maintenant ?
Vraiment, on ne sait plus par quel bout l'attraper...
On oscille, comme un pendule, entre dégout et colère. Entre l'envie de fuir (mais où, bon Dieu ?!) et celle de rentrer dedans et tout péter (ah, la tentation du magasin de porcelaines...)
Une jolie société d'obsédés du confort individuel, assise sur son coffre-fort et sûre de son bon droit. Et d'une mauvaise foi !
Qui ne fait pas dans l'outrance, jamais... Sauf peut-être quand il s'agit de défendre ses privilèges de classe, de race ou d'héritier de l'un ou de l'autre. C'est bien normal, après tout, d'avoir des privilèges. Mais l'outrance, non, on n'aime pas... Pouah ! Ou même juste de mettre les vrais mots sur des réalités. Oulà ! On périphrase, on métaphorise... On atomise la pensée, on uniformise le sentiment. Là, on est bien...
Un climat qui se dégrade. Bon, ça c'est pas bien certain, encore... Moi, je ne prends l'avion que deux ou trois fois dans l'année, de toute façon... Sinon, on verrait jamais le soleil, hein ! (émoticone qui cligne de l'oeil)
Des gouvernements qui se durcissent, qui se referment, cloisonnent et légifèrent pour renforcer les privilèges des privilégiés et laisser les autres tirer la langue (et la charrette) en espérant être du nombre avant la fin...
Des technologies prometteuses (et/ou dangereuses) récupérées pour le pire par des sociétés privées sans éthique qui se rêvent licornes d'argent (on ne rêve que dans cette couleur, de toute façon, c'est assez connu).
Et d'espoir (en dehors des prochains congés ou du prochain bulletin de paye qui permettra "d'en profiter") aucun.
Chacun fait tourner sa petite roue en amenant toute l'eau qu'il peut à son petit moulin.
À vent, le moulin...
Un vent à tout péter, même !
Photo de Orit Matee sur Unsplash
Photo de Enrico Mantegazza sur Unsplash
Encore ce matin, je m'arrache les cheveux en constatant qu'un ami vient de publier un article avec du "vrai" contenu, c'est à dire dans ce cas précis, un avis personnel sur une publication - une sorte de bilan personnel de lecture - qui pourrait guider les visiteurs de son site dans leurs choix... directement sur un réseau social. Sur le site (qui devrait être la référence) : aucune trace.
Pas le début d'un conseil, pas la moindre trace d'un avis personnel, pas le commencement d'une ébauche de contenu : des informations pratiques sur des ouvertures exceptionnelles, des nouveautés en rayon, des listes.
Utile pour des clients, rien pour retenir un visiteur arrivé là par hasard, mais rien non plus pour donner du grain à moudre un moteur de recherche : les seules personnes potentiellement intéressées sont celles, sans doute, qui peuvent se déplacer physiquement.
Il m'avait dit récemment : "Pour moi, le site, c'est seulement de la comm." Et ça m'avait fait mal parce que je voyais le site comme un moyen d'augmenter le réel, de créer du contenu utile pour tous.
Erreur...
Et cette tendance n'en est plus une depuis longtemps.
C'est assez révélateur, je pense, d'un web qui s'est fait cannibaliser et qu'on met désormais presque uniquement au service du commerce et de l'affect marchand : le plus neutre et banal possible dans sa vitrine comm.erciale et dans l'injonction au "réagir, partager" pour son volet "réseau social". Version tapageuse et amnésique des blogs d'antan (il y a, disons, encore une dizaine d'années) qui tend à déplacer tout contenu intéressant - pour des humains qui pensent - vers des réseaux centralisés, détenus et régulés par des multinationales qui font leur beurre sur le tumulte et la réaction permanente. Se faire entendre dans ce brouhaha constant amène à être le plus bruyant possible (entendez par là polémique, sensationnel, dégueulasse, outrancier... toutes acceptions si bien réunies dans le terme "putaclic") pendant que, dans un même mouvement inversé les sites, réduits à leur fonction d'outils de comm., se standardisent, devenant d'une banalité affligeante, bien lisses dans leurs points de vues et d'un intérêt nul pour des visiteurs simplement de passage.
Il n'y a plus de contenu sur la majorité des sites pro : que des infos d'actualité qui perdent tout intérêt une fois l'actualité dépassée. Pour tout contenu intéressant, veuillez vous reporter sur les réseaux sociaux (après inscription obligatoire pour pouvoir les consulter)... Et bonne chance pour remonter le fil : on y publie beaucoup - c'est important pour la comm. sous peine de devenir bien vite invisible - et à peu près n'importe quoi.
La polarisation s'est inversée. Les créateurs se dépouillent de leurs créations au bénéfice d'un rouleau compresseur avide de nouveauté : les contenus sont dans l'éphémère, perdus parmi les avis à l'emporte-pièce, les re-posts instinctifs et les petits chats mignons. Les galeristes n'affichent plus que leurs horaires d'ouverture.
Chez eux, c'est vide, désormais.
Dont acte.
Cette bataille-là est perdue mais d'autres formes sont à réinventer, à la marge, encore.
Pas de résignation !
Il est dommage que nous ne puissions avoir la mémoire des deux seuls moments certains de notre existence. De notre naissance et de notre mort nous ne pouvons avoir souvenir.
J'adore cette expression : machine simple. Je ne sais pas pourquoi...
Levier, roue, poulie, coin, plan incliné, vis, engrenage, treuil